Faire le buzz soi-même sur YouTube

« J’étais une bestiole inadaptée à l’ère actuelle, et grâce au web j’ai pu afficher cette solitude et me rendre compte qu’elle parlait aux gens… et ça, c’est fabuleux …en tant qu’actrice, par exemple, toutes les démarches (traditionnelles) m’apparaissaient absolument incompréhensibles et impossibles… mais là, je pouvais moi-même faire une petite vidéo et être vue directement sans passer par l’intermédiaire de personne, qui il aurait fallu que je convainque, je ne sais pas comment…» 

-Ina Mihalache (Solange te parle), « Poétubeuse », lors de l’émission « Des clics et des claques » d’Europe 1, diffusée en 2012 

Il n’y a pas si longtemps, les artistes comptaient plus sur les impresarios que sur leurs talents créatifs pour gagner leurs vies. Pour les musiciens, il n’y avait pas de succès possible sans la bonne maison disque. Écrivain ? Il fallait d’abord passer par une des grandes maisons d’édition traditionnelles pour publier. Comédienne, cinéaste, poète, humoriste ? Désolé, dans ce cas il fallait un sacré niveau de talent et de marketing pour vous faire connaître. Cela ne se faisait pas tout seul. En effet, pour que quelqu’un fasse le buzz avant l’ère numérique, tout le processus restait bien contrôlé par très peu de gens. En outre, et de toute évidence, ces « décideurs » restaient peu disposés à prendre de grands risques pour des inconnus. Alors, quelle belle évolution au début du nouveau millénaire de voir les médias émergents en train de démocratiser l’accès au public. Dans ce nouveau paradigme, on se trouve dans une véritable méritocratie qui récompense les artistes en fonction de la popularité et de la qualité de leurs contenus et ouvrages. N’importe qui peut enfin diffuser, vendre et partager son art avec le monde entier sans passer par l’intermédiaire des gardiens au marché mondial des médias. 

Afin de mieux comprendre ce monde dans lequel on publie à compte d’auteur, il serait bien d’examiner la plateforme YouTube qui a été lancée en 2005 aux États-Unis. C’est grâce à YouTube que les « créateurs » peuvent diffuser et ensuite monétiser leurs créations. De nos jours, il n’y a plus de véritable barrière à l’entrée, car il faut très peu de matos pour s’y mettre. Même l’ordi le moins puissant peut éditer des courts métrages si on est suffisamment patient. Effectivement, il y a des YouTubeurs qui se filment juste avec leurs smartphones (souvent dotés des perches à selfie). Plus besoin alors d’avoir recours à un studio vidéo sophistiqué pour diffuser en direct ou à la demande. Ce n’est pas tant les ressources financières de l’artiste qui sont importantes que la fiabilité et la performance de la plateforme. Le choix de cette dernière demeure incontestablement le géant américain YouTube. Ce qui est intéressant à noter dans cette histoire est que la version française de YouTube est sortie en 2007, deux ans après la création de DailyMotion (entreprise française, vue souvent comme le petit frère de YouTube). Pour rappel, Google aurait pu facilement acheter DailyMotion à l’époque au lieu de YouTube en 2006, mais le destin en a décidé autrement. En effet, on parle beaucoup plus de YouTubeurs que de DailyMotionneurs, malgré le fait que les YouTubeurs français les plus célèbres ont tous commencé leur carrière sur Dailymotion.  

Quant aux chaînes YouTube francophones, les trois les plus populaires (celles qui comptent le plus d’abonnés) sont toutes animées par de jeunes humoristes français. Commençons par le YouTubeur le plus connu en France, Norman Thavaud, qui diffuse des vidéos marrantes sur sa chaîne normanfaitdesvideos depuis janvier 2011. Peu après son arrivée sur le site, il a filmé un sketch sur « les bilingues » dans lequel il se plaint des vantards qui vous rappellent constamment qu’ils maîtrisent une deuxième langue. Norman constate d’un ton sardonique que « Les mecs qui sont bilingues, ceux qui parlent bien anglais, en général, ils se la racontent pas trop… (suivi d’une petite pause classique à la Norman… et puis… il crie…)  FAUX ! » En fait, cette dernière déclaration de « FAUX » est vite devenue une caractéristique clé dans presque toutes ses vidéos. Pour une raison quelconque, cette vidéo sur les bilingues a atteint un million de vues en quelques semaines. Quelques années plus tard, Norman est ensuite devenu tellement connu et populaire qu’il n’a même pas besoin de faire du marketing dès qu’il décide de monter sur scène DLVV (IRL) – toutes les places se vendent sans promo de sa part. Sa notoriété lui permet de passer des nouveaux médias aux médias classiques sans le moindre effort. Il est donc facile de comprendre pourquoi Norman représente le succès pour tant de gens : il vit de son art et selon ses propres conditions. 

Tableau 5 : Les chaînes francophones YouTube les plus populaires en juillet 2019 

RangHumoristeMillions d’abonnés Milliards de vuesDepuis 
Squeezie13,36,42011
2Cyprien13,22,22007
3Norman11,62,22011

Il suffit de regarder très peu d’entretiens de YouTubeurs pour comprendre que leur rêve est que leurs vidéos apportent assez d’argent pour pouvoir en vivre. Mais, les plus grandes stars françaises refusent de parler de salaire lorsqu’on leur pose la question. La plateforme a expliqué par le passé qu’il s’agit d’un euro en France pour toutes les 1000 vues – mais même Norman a insisté lors d’une entrevue télévisée que ce chiffre est tout à fait FAUX. Il s’avère que les algorithmes qui évaluent la rentabilité des vidéos changent en permanence et il n’y a aucun YouTubeur (accompli) qui est en mesure d’anticiper son salaire mensuel (le salaire le plus commun pour les YouTubeurs reste à peu près 0,00 €). L’avis général des journalistes amateurs est que les plus grandes chaînes françaises touchent plus de 10 000 € brut par mois. Cela dit, il y a très peu de gens qui vivent entièrement (ou même un peu) de leur chaîne YouTube. Pour la plupart des artistes sur YouTube, c’est encore métro, boulot, vidéo, dodo, sans la possibilité de quitter son emploi principal. 

Pour certains créateurs, leurs vidéos YouTube ne sont qu’un point de départ vers l’ancien paradigme des médias classiques. Il est tout à fait possible de se faire connaître sur YouTube et d’ensuite passer à d’autres projets plus rentables. C’est visiblement le cas de la Canadienne et Youtubeuse Ina Mihalache, qui est connue partout dans le monde francophone pour son personnage Solange de sa série web intitulée Solange te parle. Après un peu de succès en ligne, elle est passée ensuite aux médias dominants et traditionnels. D’abord la télévision (France 3), puis la radio (France Inter), et ensuite la presse (éditions Payot), et plus récemment elle est passée au cinéma avec son long-métrage Solange et les Vivants. Mais, selon Mihalache, le monde des médias classiques lui était autrefois inaccessible : « J’arrivais pas à séduire, ou à créer un réseau, ça faisait pas partie des capacités sociales que j’avais… et je n’avais pas envie de me nier pour y arriver… d’aller dans les soirées, de chercher des castings, des auditions, des agents…. je me suis dit que je vais rester comme je suis et je vais faire avec ce que je suis. » Mihalache avoue que tout son succès est dû aux nouveaux médias, et c’est YouTube qui lui a permis de lancer sa carrière internationale.  

Dans la leçon précédente, Eli Pariser a noté que la technologie actuelle et nos bulles de filtres nous empêchent de découvrir de nouveaux contenus et de nouvelles personnes. Cela demeure tristement vrai, mais c’est ainsi depuis toujours puisqu’il y avait par le passé des gardiens en place qui n’auraient jamais fait la connaissance de quelqu’un comme Ina Mihalache. À cet égard, on pourrait y voir le signe que nous avons fait des progrès considérables à faire connaître de nouvelles voix. De nos jours on est beaucoup plus nombreux à juger ce qui est digne de notre attention – même si la question de rémunération reste bien compliquée.  





Questions de réflexion 

Les anciens gardiens des médias ne s’intéressent guère aux marchés-niches, puisqu’ils veulent vendre au plus grand nombre de gens. Quelles sont les conséquences de cette démarche ? Qu’est-ce qu’on risque de perdre en se limitant aux contenus les plus rentables ? 

Est-ce que vous suivez une chaîne YouTube (ou un podcast ou un blog) qui n’aurait jamais vu le jour dans l’ancien paradigme ? Qu’est-ce que cela vous apporte et qu’est-ce que vous y apportez pour soutenir le projet ? 


Tâches pour aller plus loin

Beaucoup de jeunes créateurs rêvent de vivre de leur chaîne YouTube, et ils cherchent à avoir assez d’abonnés pour tirer des revenus de la publicité, ou encore mieux, pour attirer l’attention des sponsors. Et ce ne sont pas les conseils qui manquent en ligne ! Faites des recherches pour mieux comprendre ces recommandations. Qu’est-ce qu’on suggère aux gens pour se faire un max de thune, et comment peut-on vivre de sa chaîne YouTube ? Quelle est la recette d’un bon contenu numérique ? 

Bien que les YouTubeurs aient tendance à commencer leur carrière d’une façon indépendante et sans sponsor, il est de plus en plus commun de les voir vendre à la criée lors de leurs vidéos. Est-ce que cela nuit à la crédibilité, ou faut-il juste prendre ça avec un grain de sel, tout en sachant qu’il faut vendre pour vivre ? Y a-t-il peut-être un meilleur moyen de se faire payer de son art ? 


Stylistique : Les pléonasmes à éviter 

Un pléonasme consiste en la répétition d’une idée déjà émise ou d’une notion déjà évoquée dans une phrase. Prenons comme exemple l’expression « prédire à l’avance » : là, on constate qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter « à l’avance », puisqu’on ne peut pas « prédire en retard ». Parfois ces redondances apportent une précision à la phrase, mais plus souvent elles consistent en l’ajout des détails inutiles et risquent de rendre votre texte moins fort. 

Dans les exemples suivants, trouvez les pléonasmes qui ne sont pas nécessaires au sens grammatical de la phrase.

  • Les YouTubeurs français se sont tous réunis ensemble à Paris pour manifester contre les nouveaux frais de la plateforme. 
  • On a refait notre site web encore une fois afin de moderniser notre design. 
  • Tous ses abonnés ont voté à l’unanimité de relancer son podcast de nouveau. 
  • À la fin de son projet actuellement en cours, il aura enfin une deuxième chaîne Viméo. 
  • Si on ne réserve pas nos billets d’avance, il ne sera pas possible d’assister l’année prochaine au festival Burning Man
  • Mathieu a partagé les documents sensibles sur WikiLeaks sous le faux prétexte qu’il est devenu un lanceur d’alerte courageux ciblé par l’État. 

À vous ! 

Faites des recherches sur internet pour trouver de bons exemples de pléonasmes. Vous en trouverez beaucoup en faisant une simple recherche sur Google Images. Puis, en gardant le thème de cette leçon à l’esprit, essayez d’en formuler au moins un qui est original. 

Les pléonasmes trouvés en ligne :

a)

b)

c)

Les nouveaux médias : un pléonasme original 

d)


Notes et suggestions de lecture 

Europe 1 : Citation de Ina Mihalache (le succès d’une jeune femme inadaptée) 
https://www.youtube.com/watch?v=W8hByWZrAVY

Clubic : Un an après… Dailymotion est-il toujours le «petit frère» de YouTube
https://www.clubic.com/pro/actualite-e-business/actualite-801514-an-rachat-dailymotion-vivendi.html

YouTube : Norman fait des vidéos – Les Bilingues
https://www.youtube.com/watch?v=_N4DMW5NWsE

Libération : Portrait de Norman Thavaud
https://www.liberation.fr/ecrans/2011/10/25/tete-a-clics_770142

Canal+ : L’entretien de Norman Thavaud dans l’émission Salut Les Terriens
https://www.youtube.com/watch?v=0FD6krrD2Is

L’ADN Groupe : Top 9 des Youtubeurs français les plus influents (et drôles)
https://www.ladn.eu/media-mutants/reseaux-sociaux/classement-youtubeurs-humour-influence/

L’ADN Groupe : Peut-on encore devenir riche en lançant sa chaîne YouTube?
https://www.ladn.eu/media-mutants/reseaux-sociaux/remuneration-youtube-peut-on-encore-devenir-riche-en-lancant-sa-chaine/

Hotmart : Salaire d’un YouTubeur 
https://blog.hotmart.com/fr/salaire-dun-youtubeur/

Europe 1 : Solange invitée sur Europe 1 (deuxième citation d’Ina Mihalache)
https://www.youtube.com/watch?v=_k3122IdzwE

YouTube : Antoine BM – Combien d’abonnés faut-il pour vivre de YouTube 
https://www.youtube.com/watch?v=JgpBAMiBXhY

Open Work : Va-t-on ubériser le secteur artistique ? 
https://www.lemonde-apres.com/fr/blog/vloggeur-nouvelle-star-du-digital