Comblons donc la fracture numérique
Imaginez un monde dans lequel chaque personne, où qu’elle soit, dispose d’un libre accès à la somme de tout le savoir humain. C’est ça que nous faisons.
-Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia, Slashdot 2004
L’ancien paradigme des médias classiques favorisait un système dans lequel il y avait très peu de gardiens au marché du talent. Bien que cela pose problème pour de multiples raisons déjà évoquées dans la leçon précédente, la situation était historiquement encore pire quant au marché du savoir. Même l’alphabétisation de base, qu’on tient littéralement pour acquise, restait pendant des siècles un domaine exclusif à la noblesse et au clergé. Rappelons que le fait de lire et d’écrire implique la possibilité non seulement de comprendre le monde, mais de le transformer, de mettre en question le statu quo, tout en bouleversant l’équilibre du pouvoir. Ce sont en effet les moins éduqués qui risquent d’être les moins libres. Paulo Freire, philosophe et auteur brésilien, connu surtout pour son ouvrage Pédagogie des opprimés (1968), a compris que le savoir et l’alphabétisation seraient les forces motrices à l’éveil démocratique de son pays natal. Ses efforts subversifs d’alphabétiser les plus pauvres ont d’abord fait de lui un ennemi de l’État. Il s’est exilé pendant dix ans avant de retourner beaucoup plus tard pour devenir le secrétaire de l’éducation à São Paulo. Freire éprouvait le besoin urgent de démocratiser le savoir et le partage de savoir, et c’est bien cette idée qui est au cœur de plusieurs initiatives modernes de fournir et de garantir un apport de connaissances à tous, partout dans le monde.
Le taux général d’alphabétisation des adultes est heureusement passé à 86 % en 2015. Bien que cela représente une grande réussite mondiale (le taux était 42 % en 1960), ce n’est qu’une première étape pour libérer le savoir. Il faut également penser à la nature et à la qualité des infos disponibles. Pour rappel, la maîtrise de l’information est l’arme la plus puissante dans n’importe quelle société. Examinons donc les nations dans lesquelles les connaissances sont réduites artificiellement par des régimes politiques. L’exemple le plus souvent évoqué est sans doute la Chine, où on parle par dérision de la grande muraille pare-feu. Impossible alors pour les Chinois de trouver des infos en ligne qui prônent l’indépendance de Taïwan : on ne trouvera que des sites partiaux préapprouvés par le parti communiste. Or, notons que l’accès libre à la toile reste également un problème dans d’autres pays – ce n’est pas uniquement un problème chinois. L’organisation parisienne Reporters sans frontières (RSF) classe toutes les nations du monde par un score de « la liberté de la presse ». Il est peu étonnant de voir sur la liste les suspects habituels qui sont d’ailleurs les pires contrevenants : le Turkménistan, la Corée du Nord, la Chine, le Viêt Nam, le Soudan, la Syrie, le Djibouti, l’Arabie saoudite… pour n’en nommer que quelques-uns. La liste est bien longue, et parfois surprenante. RSF nous rappelle que « près de la moitié de la population mondiale n’a toujours pas accès à une information libre », ce qui est, en l’occurrence, le fondement de toute véritable démocratie.
Certes, la situation actuelle est bien loin du rêve de Jimmy Wales, mais en même temps, il est tout à fait possible d’envisager un monde dans lequel la circulation libre des infos serait plus fluide. Si on remonte juste un peu dans le temps, on comprend que les progrès réalisés jusqu’à présent sont extrêmement prometteurs. Prenons l’exemple du Québec, une nation francophone carrément contrôlée par l’Église catholique jusqu’à la Révolution tranquille dans les années 1960. Si RSF avait existé pendant la Grande Noirceur (la période avant la révolution), le Québec se serait trouvé vers la fin de la liste de la liberté de la presse. René Lévesque, l’ancien ministre du Québec et voix marquante de la Révolution tranquille, a constaté à l’époque : « La tâche des vrais démocrates est de voir à ce que le peuple soit de plus en plus au courant, instruit, renseigné sur ses propres intérêts. » Lévesque a compris que ce sont seulement les nations les plus autocrates qui cherchent à empêcher la circulation libre des infos. La liberté de l’information et la liberté des gens vont de pair. De nos jours, un libre accès au web à tous constitue donc un premier pas dans la bonne direction.
On constate partout dans le monde que, petit à petit, les sociétés se modernisent, même s’il y a encore du pain sur la planche. Par ailleurs, on voit de très nombreux efforts ambitieux à faire avancer la mission de fournir le savoir au plus grand nombre. Salman Khan a lancé sa fameuse académie numérique en 2006 justement pour proposer en ligne des leçons gratuites au service de l’approfondissement des connaissances. On trouve la description suivante sur la page d’accueil de la version française de Khan Academy : « Nous sommes une organisation à but non lucratif ayant pour mission de fournir un contenu éducatif, gratuit, dans le monde entier, accessible à toutes et tous et partout. » L’académie offre une vaste gamme de vidéos éducatives et des tutoriels qui sont suivis par des exercices personnalisés. Son but altruiste de fournir un enseignement de grande qualité à tous a même inspiré Bill et Melinda Gates de soutenir le projet ces dernières années à coups de millions de dollars américains.
L’objectif de démocratiser le savoir dans tous les pays du monde peut sembler à première vue irréalisable. Néanmoins, il existe de bonnes raisons de penser qu’on n’a jamais été si près de cette proposition. Les outils existent déjà, c’est surtout une question d’accès. Les experts et journalistes dans ce domaine parlent souvent de la fracture numérique. Il y a ceux qui ont un accès libre à internet et ceux qui n’ont pas cet accès – d’où vient la fracture. Afin de la combler, il faut d’abord comprendre sa nature qui consiste en deux parties. Dans un premier temps, il y a la disparité technologique entre les pays les plus pauvres et les plus riches. Mais plus important encore, il y a également le problème des pays et médias contrôlés par des régimes autocrates et totalitaires. Par conséquent, il n’y a aucune raison pour qu’on ne puisse agir simultanément sur ces deux fronts. En effet, il y aura toujours une fracture du savoir tant qu’il y aura une fracture numérique. Pour réaliser les rêves de Wales et de Khan, la première étape est de promouvoir un libre accès au web entier et d’éliminer ceux qui se prennent pour des gardiens du savoir collectif humain.
Questions de réflexion
Croyez-vous qu’un libre accès au web ne soit qu’un rêve chimérique ? Expliquez.
Le slogan actuel du Washington Post est « La démocratie meurt dans les ténèbres ». Pourquoi une démocratie dépend-elle d’un accès libre aux infos ?
Tâches pour aller plus loin
Il existe maintenant des technologies qui permettent un contournement des pare-feux numériques imposés par des régimes politiques. Recherchez le rôle de ces outils pour mieux comprendre leur importance et leur prévalence en notant ce qu’on risque de les exploiter.
Quelles initiatives actuelles cherchent à combler la fracture numérique ? Faites des recherches pour trouver des exemples concrets.
Stylistique – Les erreurs de référent
La cohérence d’un texte écrit est typiquement assurée par les référents anaphoriques. L’inattention à ces éléments amène souvent une confusion ou une ambiguïté.
Voici une erreur de syntaxe commune :
- Mon pote et moi, nous cherchons un nouveau studio pour s’enregistrer.
Dans cet exemple, il est important que les deux éléments en gras partagent les mêmes caractéristiques grammaticales. Voici la correction :
- Mon pote et moi, nous cherchons un nouveau studio pour nous enregistrer.
Pour éviter toute ambiguïté lorsque vous rédigez un texte écrit, assurez-vous qu’un pronom a toujours un antécédent clair. Voici un exemple d’une ambiguïté :
- La nouvelle plateforme est tombée en panne hier soir. Ils ont travaillé tout le week-end pour redémarrer le serveur.
Il vaut mieux être plus clair de qui nous parlons. Voici une correction possible :
- La nouvelle plateforme est tombée en panne hier soir. Les programmeurs ont travaillé tout le week-end pour redémarrer le serveur.
Faites attention également aux erreurs de genre et de nombre dans la reprise du pronom :
- On devrait remercier votre équipe d’avoir résolu si rapidement notre problème. En plus, ils étaient super professionnels.
Il vaut mieux dans ce cas respecter le fait que le mot « équipe » est du féminin singulier. Voici une correction possible :
- On devrait remercier votre équipe d’avoir résolu si rapidement notre problème. En plus, elle était super professionnelle.
L’antécédent d’un pronom de reprise doit être évident. Évitez à tout prix l’ambiguïté. Prenons comme exemple la phrase suivante :
- Jimmy Wales et Salman Khan travaillent tous les deux pour un meilleur avenir. Mais, ce qu’il fait le mieux, c’est d’enseigner à ses élèves.
Dans cet exemple, on constate qu’il y a une ambiguïté puisque l’antécédent du pronom de reprise n’est pas clair. S’agit-il de Wales ou de Khan ? Voici une correction possible :
- Jimmy Wales et Salman Khan travaillent tous les deux pour un meilleur avenir. Mais, ce que Khan fait le mieux, c’est d’enseigner à ses élèves.
À vous !
Formulez trois phrases qui contiennent des erreurs de référents et notez trois corrections possibles.
a)
b)
c)
Notes et suggestions de lecture
Slashdot : Citation de Jimmy Wales et la mission de Wikipédia
https://slashdot.org/story/04/07/28/1351230/wikipedia-founder-jimmy-wales-responds
Pedagogy and Theater of the Oppressed : Courte biographie de Paulo Freire
https://ptoweb.org/aboutpto/a-brief-biography-of-paulo-freire/
Our World in Data : Taux général de l’alphabétisation des adultes partout dans le monde
https://ourworldindata.org/literacy
Bloc Québécois : Citation de René Lévesque sur les vrais démocrates
https://www.blocquebecois.org/2015/12/communique-le-bloc-quebecois-mobilise-pour-la-promotion-de-lindependance/
Les reporters sans frontières : Les données du classement de la liberté de la presse 2019
https://rsf.org/fr/donnees-classement?sort=desc&order=Score%20global#instit
Khan Academy : Soutien financier du Gates Foundation
https://www.khanacademy.org/about/our-supporters
Le Point : Une solution du ciel pour combler la fracture numérique en Afrique
https://www.lepoint.fr/economie/rwanda-combler-la-fracture-numerique-par-satellite-06-03-2019-2298540_28.php
Europe 1 : Nouveau slogan du Washington Post sur la démocratie
https://www.europe1.fr/medias-tele/le-washington-post-a-desormais-un-slogan-la-democratie-meurt-dans-les-tenebres-2985896